Une étude publiée en aout 2024 (à retrouver ici), menée par Sylvie Blasco, Julie Rochut et Bénédicte Rouland, se penche sur les liens entre organisation du travail et santé psychologique des salariés. Cette recherche s'est appuyée sur des données d'enquêtes nationales pour analyser comment l'intensification du travail et l'autonomie accordée aux salariés influencent leur santé psychologique.
Des résultats qui confirment les intuitions
Sans grande surprise, l'étude confirme qu'une forte intensité de travail est associée à une moins bonne santé psychologique. À l'inverse, une plus grande autonomie semble favoriser le bien-être psychologique des salariés. Ces résultats vont dans le sens de ce qu'observent régulièrement les psychologues du travail sur le terrain.
L'étude valide ainsi la pertinence du modèle de Karasek, développé en 1979 et toujours largement utilisé. Ce modèle postule que les effets de l'intensité et de l'autonomie sur la santé dépendent de la façon dont ces deux facteurs sont combinés.
Plus intéressant encore, les chercheurs ont pu démontrer que ces associations ne sont pas de simples corrélations, mais reflètent bien des effets causaux. En d'autres termes, l'intensification du travail semble bel et bien détériorer la santé psychologique, tandis que l'autonomie tend à l'améliorer. Personne ne sera surpris, mais ce rappel n'est pas inutile.
Pour aller plus loin sur ce sujet, ne manquez pas l'épisode 34 du podcast Zéro Virgule : Limites et paradoxes de l’autonomie au travail.
Bilan mitigé pour quelques pratiques à la mode
L'étude s'est penchée plus particulièrement sur quelques évolutions majeures du monde du travail, qui ont depuis plusieurs années la faveur des entreprises.
On notera ainsi quelques rappels bien utiles sur les pratiques de management à forte implication, dites "participatives" et prétendument "post-tayloriennes" (avec autonomie dans l'organisation du travail, travail en équipe, rotation des tâches, évaluation individualisée des performances, ...) :
Les résultats montrent des effets mitigés sur la santé psychologique des salariés.
L'évaluation individualisée a principalement des effets négatifs.
L'étude souligne l'importance d'une mise en œuvre réfléchie de ces pratiques et recommande une approche équilibrée, tenant compte des potentiels effets négatifs.
Pour ce qui concerne le télétravail, les auteurs soulignent que les résultats étudiés sont antérieurs la pandémie de COVID et recommandent la prudence dans l'extrapolation au contexte post-pandémie, où le télétravail s'est généralisé et intensifié. Ceci étant précisé,
Les télétravailleurs rapportaient en moyenne une meilleure santé globale et un meilleur bien-être psychologique que les non-télétravailleurs.
Ils déclaraient également plus d'autonomie dans leur travail.
Ils rapportaient aussi une plus grande intensité de travail et des horaires plus atypiques.
Ces effets positifs ne sont significatifs que pour les télétravailleurs occasionnels (1 à 2 jours par semaine). Pour les télétravailleurs plus intensifs (3 jours ou plus par semaine), les effets positifs disparaissent.
On est donc loin de la vision idyllique du télétravailleur agile qui résout tous les paradoxes de l'activité à coups de SCRUMs en Teams, dans la joie et la bonne humeur...
Revenir aux basiques
En résumé, cette étude fournit des données actualisées pour discuter des impacts des politiques RH et des organisations du travail sur la santé des salariés. Elle met en lumière de manière objective la nécessité de :
Veiller à ne pas trop intensifier le travail au détriment du bien-être des salariés,
Favoriser l'autonomie et les marges de manœuvre dans l'organisation du travail,
Accompagner avec soin les changements organisationnels (automatisation, télétravail, etc.),
Adapter les pratiques managériales pour préserver la santé psychologique des équipes.
Bref.... de soigner le travail. Rien de vraiment neuf, mais un retour aux basiques qui ne peut pas faire de mal.
Commentaires