Le congé menstruel : pourquoi ça me ferait peur ?
- contact083742
- 29 mai
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 mai
Le congé menstruel est un de ces sujets qui révèlent, bien au-delà d'eux-mêmes, la manière dont notre monde du travail est structuré. Ce n'est pas un débat annexe, anecdotique ou communautaire. C'est une ligne de faille. Et pour beaucoup d'entre nous, je veux dire les hommes, ce sujet provoque une forme de résistance instinctive. Face à une demande de repos liée à une douleur ou une fatigue menstruelle, surgissent des peurs, des réflexes de rejet, voire des sarcasmes.
Je n'ai pas eu d'autre choix que de me poser (enfin !) la question d'un congé menstruel après avoir enregistré l'épisode 18 avec Annabel. Une conversation forte et claire, où le ménage est fait dans certaines idées préconçues.
L'épisode en question (lecteur Apple)
Une mesure simple... mais qui semble mettre mal à l'aise ces messieurs
Quand on a besoin de s'absenter du travail pendant un ou deux jours lors de douleurs ou de troubles liés à son cycle, ce n'est pas un passe-droit ou un privilège. C'est une reconnaissance d'une réalité biologique qui, pour certaines, est très handicapante.
Pourtant, du point de vue des hommes, ça coince.
La raison principale : le travail et son organisation ont été pensées pour des corps linéaires, constants, disponibles. Autrement dit : des corps d'hommes valides et "dans la moyenne". Dès lors, ce que le congé menstruel rend particulièrement visible, c'est que la plupart de nos organisations du travail reposent sur l'invisibilisation du corps féminin, c'est à dire du corps de la moitié des personnes qui bossent. Rien que ça.
Annabel l'exprime ainsi :
"L'organisation du travail se fonde sur une illusion de neutralité. Elle postule que les salariés sont des corps sans rythme, sans flux, sans hormones, sans humeurs."
(Source : https://blogs.mediapart.fr/annabel-b/blog/090423/le-conge-de-cycle-hormonal-est-ce-super-flux)
En réalité, ce congé pose une question bien plus large : que fait-on des corps dans l'entreprise ? Et surtout, de ceux qui ne rentrent pas dans la norme implicite ? Question qui oblige d'ouvrir de nombreux dossiers... ce qu'on continuera à essayer de le faire dans le podcast.
Ce que le congé menstruel menace (symboliquement)
Quand on défend une mesure de type congé menstruel, on se heurte immédiatement à des objections masculines :
"Et les hommes, ils ont droit à quoi ?" (comprendre : "outre leurs 43% de rémunération supplémentaire par rapport aux femmes")
"Mais comment on vérifie ?"
"On va se retrouver à faire le travail à leur place"
...
Ce sont, pour certaines (pas toutes) des peurs réelles, et peut être même compréhensibles, mais qui ne parlent pas du congé menstruel. Elles parlent du deuil qu'il faut faire d'une illusion d'égalité. Le congé menstruel ébranle l’un des fondements les plus tenaces de notre conception de l’égalité : cette idée selon laquelle être égaux signifierait être traité.e.s de façon identique. Cela, bien sûr, dans l’hypothèse largement théorique où femmes et hommes bénéficieraient déjà des mêmes conditions dans le reste de la vie au travail.
Un outil parmi d'autres pour penser une prévention sexuée
Annabel le rappelle dans le podcast : le congé n'est qu'un début. Il ne suffit pas. Ce qui est en jeu, c'est la mise en place d'une véritable évaluation des risques professionnels tenant compte du sexe et du genre. C'est d'ailleurs une obligation légale depuis 2014 (très peu appliquée).
Une prévention sexuée, ce n'est pas "chouchouter les femmes", c'est :
mesurer les expositions différenciées aux risques,
prendre en compte la charge mentale, le poids des normes, la cyclicité hormonale,
redéfinir la norme à partir de la diversité des corps. (Je sais, c'est pas "lean").
C'est un chantier immense par certains aspects (culturels....) mais vraiment pas compliqué à mettre en œuvre. Et le congé menstruel, en tant que mesure concrète et visible, peut ouvrir la brèche.
Et nous, les hommes, on fait quoi ?
Je n'ai jamais eu de règles. Je n'ai pas eu à me demander chaque mois si j'allais pouvoir bosser en ayant mal au ventre. Je n'ai jamais eu à poser un jour de congé en douce pour une douleur jugée "pas objective" (comme si une douleur pouvait l'être). En un mot : je suis dans l'incapacité de penser cette situation.
Du fait de cette incapacité, le malaise des hommes ne vient pas de la mesure elle-même. Il vient de l'obligation d'accepter de prendre en compte ce qu'on n'a jamais voulu voir.
Mais ce n'est pas une menace, c'est une opportunité : celle de construire un monde du travail qui cesse de punir les corps qui ne correspondent pas à la norme.
Et ça, c'est une définition assez fidèle de ce qu'on pourrait appeler "le progrès social".

-------
Inspiré par :
Article « Le congé de cycle hormonal, est-ce super-flux ? » : https://blogs.mediapart.fr/annabel-b/blog/090423/le-conge-de-cycle-hormonal-est-ce-super-flux
Blog Mediapart d'Annabel : https://blogs.mediapart.fr/annabel-b