"Simplifier" pour affaiblir le regard
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Depuis plusieurs mois, le projet de loi dit de "simplification de la vie économique" tente de se frayer un chemin au sein du Parlement. Parmi les dispositions discutées, figure une modification importante du cadre de la formation des CSE en matière de santé, sécurité et conditions de travail. Si elle était maintenue, il ne serait plus nécessaire d'obtenir le moindre agrément pour dispenser une telle formation à des représentant.es du personnel. Pour comprendre précisément de quoi il retourne, on pourra consulter l'amendement, rejeté par l'Assemblée, qui visait à annuler cette disposition.
Cette modification du cadre actuel toucherait directement à la place accordée aux différents savoirs qui sont nécessaires pour comprendre le travail et ses effets sur la santé. C’est sous cet angle précis que la « simplification » mérite d’être interrogée. Non comme une mesure technique, mais comme un choix politique. Car la commission mixte paritaire nommée le 13 décembre dernier, et chargée de finaliser le projet de loi, s’inscrit dans une séquence politique désormais bien identifiable.
Première étape (réussie) : réduire les lieux où l’on parle du travail.
En 2017, la disparition du CHSCT et la suppression des délégués du personnel ont été présentées comme des mesures de rationalisation. Elles ont surtout produit une raréfaction des espaces où le travail pouvait être mis en débat de manière autonome et structurée.
Deuxième étape (ratée) : tenter de réduire encore.
La volonté de relever les seuils à partir desquels une entreprise doit mettre en place un CSE s’inscrivait dans cette logique. Mais cette tentative n’a pas abouti. Elle a rencontré en 2025 des résistances syndicales et politiques, mais aussi une dissolution hasardeuse, qui ont freiné le mouvement engagé.
Troisième étape (en cours) : déplacer l’offensive vers les savoirs.
Si les instances ne peuvent être frontalement supprimées, la stratégie se déplace vers la formation. En dérégulant la formation des élus du CSE en matière de santé, sécurité et conditions de travail, on réduit la capacité à comprendre le travail dans sa complexité organisationnelle, technique et conflictuelle.
À ce stade, l’instance existe encore, mais elle risque de progressivement être privée de ce qui faisait sa fonction politique : produire un regard informé sur le travail réel. Celui-ci sera avantageusement remplacée par des outils "simplifiés", des grilles comportementales, des typologies séduisantes parce qu’elles sont abstraites. À ce rythme, pourquoi ne pas directement former les représentants du personnel au DISC pour traiter les risques psychosociaux ? On discuterait alors de couleurs de personnalités, et poserait beaucoup moins de questions sur l’organisation, les contraintes, les arbitrages impossibles, les conflits de critères.
Il ne s’agit ni d’une dérive incontrôlée ni d’un effet secondaire. C’est une cohérence politique. La simplification ne vise pas la bureaucratie, elle vise la capacité à produire un savoir autonome sur le travail, et donc à le contester.



