4121, touche pas à mon PAPRIPACT !
- contact083742
- 22 juin
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Depuis plusieurs mois, une injonction revient en boucle : il faudrait écouter les personnes qui travaillent. Et sur ce point, accord total : il n’y a pas de prévention sérieuse sans écoute du travail réel. C’est même une évidence pour qui pratique la clinique du travail : ce n’est pas seulement le travail tel qu’il est prescrit qui compte, mais le travail tel qu’il est vécu, bricolé, traversé, détourné par celles et ceux qui l’exercent. Écouter, c’est d’abord reconnaître cette réalité-là. Écouter leurs ressentis, leurs vécus, leur perception du travail.

Très bien. Mais pourquoi maintenant ?
Pourquoi cette floraison de projets, de plateformes, d’amendements et de référentiels autour de l’écoute, alors même qu’on a méthodiquement affaibli le dialogue social – des lois Rebsamen aux ordonnances Macron – en réduisant les moyens, les droits et la portée des instances représentatives ? Et voilà qu’aujourd’hui, certains proposent de "réinventer" le PAPRIPACT, ce programme annuel de prévention prévu par le Code du travail. Pourquoi faudrait-il passer d’un outil réglementaire, co-construit dans le cadre du droit du travail, à une démarche volontaire, privée, standardisée ? Qu’est-ce qui rendrait le PAPRIPACT, pourtant obligatoire, soudainement insuffisant ou inadapté ? Est-ce sa dimension collective ? Son articulation au CSE ? Sa valeur contraignante ?
Loin de condamner d’emblée les initiatives actuelles, on peut légitimement s’interroger : que cherche-t-on à éviter en créant un équivalent affaibli, moins politique, moins opposable ?
Derrière cette avalanche d’intentions affichées, il faut ouvrir les yeux sur ce qui se structure : un marché de l’écoute des travailleur·euses. Baromètres RH, plateformes de feedback, questionnaires maison, outils d’IA ou de pseudo-dialogue social augmenté : les offres pullulent, et les consultants se positionnent. Mieux : certains projets, comme 41-21, se présentent comme des recherches collectives « bénévoles », mais préfigurent des standards privés de "gestion" de la santé au travail. Avec une logique bien rodée : écoutez, évaluez, valorisez… mais sans déranger l’organisation du pouvoir.
Car l’écoute proposée n’est, par nature, pas conflictuelle. Elle est organisée, cadrée, souvent intégrée dans des logiques managériales : outils RH, reporting RSE, questionnaires de satisfaction. Dans le meilleur des cas, elle alimente une "feuille de route" ; dans le pire, elle produit des indicateurs de conformité. Mais quelle est réellement la probabilité pour que cette écoute débouche davantage que ne le fait déjà le PAPRIPACT sur une modification concrète du travail réel ? Est-ce uniquement une affaire de méthode ou de savoir-faire ? Pourquoi faudrait-il réinventer ce qui existe déjà dans le Code du travail : un cadre clair, collectif, opposable, et relativement simple à mettre en œuvre ?
Ce n’est pas un hasard si ces dispositifs reprennent les codes du PAPRIPACT mais en le dénaturant. Dans le droit, ce programme est adossé au DUERP (Document Unique d'Evaluation des Risques Professionnels), discuté avec le CSE, fondé sur la prévention des risques. Dans les projets "volontaires", il ressemble davantage à un vague projet (parmi d'autres), sans caractère obligatoire, sans contradictoire réel, et sans contrôle externe.
On assiste donc soit à une tentative de déréglementation douce, soit à la structuration d'un marché. Dans tous les cas, au lieu de se conformer pleinement aux obligations existantes, on en invente de nouvelles, volontaires, séduisantes, mais désarmées. Et les travailleur·euses deviennent des parties prenantes à écouter…
Écouter les personnes qui travaillent, oui. Mais pas pour externaliser la prévention. Pas pour nourrir des tableaux de bord. Pas pour sécuriser l’employeur en cas de conflit. Écouter pour agir, pas pour cocher une case. Et surtout, écouter en respectant les cadres collectifs, les instances représentatives, les droits existants.
Tout le reste n’est que storytelling de la participation. Et business de la santé au travail.